L’huile de chanvre : la lumière d’antan
Une flamme végétale
Bien avant l’ère du pétrole et de l’électricité, les soirs s’éclairaient d’une lumière douce et stable : celle des lampes à huile. Parmi les huiles végétales utilisées, celle de chanvre tenait une place singulière.
Extraite des graines pressées à froid, elle dégageait une flamme claire, sans fumée, et une odeur herbacée presque apaisante. Dans les foyers, les ateliers ou les abbayes, c’était une lumière vivante, issue de la terre.
Les chroniqueurs du XVIIIᵉ siècle en vantent la qualité : « Elle brûle sans fumer, éclaire sans offenser l’œil, et ne laisse point de suie sur le cristal », notait un apothicaire de Rouen. À une époque où la clarté nocturne dépendait du végétal ou de l’animal, le chanvre éclairait le monde comme une chandelle verte.
Du champ à la lampe
Cultivé partout en Europe, le chanvre offrait cette double richesse : la fibre pour le cordage, la graine pour la lumière. Les paysans récoltaient les graines à la fin de l’été, les séchaient au grenier, puis les portaient au pressoir communal. L’huile obtenue servait à l’éclairage, mais aussi à la cuisine et à la médecine.
Dans certaines régions du Poitou et de la Lorraine, elle fut même surnommée « huile de pauvre », car elle coûtait moins cher que l’huile d’olive importée du sud.
Les lampes à huile de chanvre ornaient les tables familiales, les chapelles de village, les navires marchands. On disait qu’elle brûlait plus longtemps que celle de lin et moins âcre que celle de colza. Elle symbolisait une lumière humble, locale, durable avant l’heure.
La concurrence du pétrole
Avec la révolution industrielle, le chanvre perdit sa flamme.
L’arrivée du gaz, puis du kérosène au XIXᵉ siècle, fit vaciller la lampe verte. Plus puissant, plus stable, le pétrole éclairait les grandes villes, reléguant les huiles végétales aux campagnes. Le chanvre, lui, resta cantonné à ses usages textiles et agricoles.
Pourtant, certains naturalistes et artistes regrettèrent cette perte. Le peintre anglais William Morris écrivait :
« Nous avons troqué la lumière du champ contre la flamme du charbon. Et dans ce troc, c’est l’âme des choses que nous avons perdue. »
Un retour symbolique
Aujourd’hui, l’huile de chanvre retrouve sa place — non plus dans les lampes, mais dans les consciences.
Sa richesse en oméga 3 et 6 en fait une huile précieuse pour l’alimentation et la cosmétique, tandis que certains artisans redécouvrent son potentiel énergétique. Des lampes design, alimentées à l’huile végétale, réinterprètent l’idée ancienne d’une lumière propre et locale.
Elle redevient ainsi ce qu’elle fut : un symbole d’équilibre entre nature et technique, un feu doux et durable.
Allumer une lampe à l’huile de chanvre, aujourd’hui, c’est presque un geste poétique — un hommage à cette lueur du passé qui n’a jamais vraiment disparu.
Citation finale
« Chaque flamme garde la mémoire d’une graine. »
— Proverbe paysan du XIXᵉ siècle