Longtemps oubliĂ©, le chanvre revient peu Ă peu dans les mangeoires, les auges et les rations animales. Cette plante millĂ©naire, cultivĂ©e depuis des siĂšcles pour sa fibre, son huile et sa graine, se rĂ©vĂšle aussi ĂȘtre un aliment de choix pour les animaux dâĂ©levage comme pour les compagnons domestiques.
Riche, Ă©quilibrĂ© et naturellement Ă©cologique, le chanvre incarne une autre maniĂšre de nourrir le vivant â sans excĂšs, sans chimie, dans le respect des cycles naturels.
đ Des rations ancestrales : quand le chanvre nourrissait la ferme
Bien avant lâĂšre industrielle, la graine de chanvre figurait parmi les ressources nourriciĂšres des fermes paysannes. En Europe, jusquâau XIXá” siĂšcle, elle Ă©tait donnĂ©e aux chevaux de trait pour soutenir leur endurance, aux volailles pour favoriser la ponte, et aux bovins pour enrichir leur ration en hiver.
Les graines, parfois grillĂ©es, Ă©taient mĂ©langĂ©es Ă lâorge ou Ă lâavoine. Les tourteaux issus de la pression de lâhuile â riches en protĂ©ines vĂ©gĂ©tales â servaient Ă engraisser le bĂ©tail.
Les textes agricoles anciens en tĂ©moignent : dans le Cours complet dâagriculture (Paris, 1821), on trouve mention du chanvre comme âaliment fortifiant et adoucissant pour les animaux de travail et de basse-courâ.
Ce savoir paysan, presque perdu, revient aujourdâhui Ă la lumiĂšre grĂące Ă la redĂ©couverte de lâagriculture circulaire et des protĂ©ines vĂ©gĂ©tales locales.
« Le chanvre est pour le bĂ©tail un aliment sain et fortifiant, surtout lorsquâil est donnĂ© en petite quantitĂ©. »
â Cours complet dâagriculture, tome 4, Paris, 1821.
đż ProtĂ©ines, omĂ©ga et fibres : le profil nutritionnel parfait
Le tourteau de chanvre, rĂ©sidu solide obtenu aprĂšs extraction de lâhuile, est un concentrĂ© nutritionnel.
Il contient en moyenne 30 à 35 % de protéines, hautement digestibles, avec un profil complet en acides aminés essentiels.
Sa richesse en oméga-3 et oméga-6 (dans un rapport équilibré de 1:3) soutient la santé du pelage, des articulations et du systÚme immunitaire des animaux.
Les fibres et les lignines issues de la coque facilitent la digestion et participent Ă lâĂ©quilibre intestinal, tout en rĂ©duisant les fermentations indĂ©sirables.
Enfin, les antioxydants naturels (vitamine E, polyphĂ©nols, tocophĂ©rols) protĂšgent les cellules du stress oxydatif, un atout essentiel pour les animaux de sport ou dâĂ©levage intensif.
đ De la ferme au chenil : une alimentation naturelle pour tous
Aujourdâhui, le chanvre entre dans la composition des aliments pour chevaux, volailles, chiens et chats, souvent sous forme de farine, dâhuile ou de graines entiĂšres.
Les Ă©leveurs de volailles notent une amĂ©lioration de la qualitĂ© des Ćufs et de la vitalitĂ© des poussins.
Chez les chevaux, lâhuile de chanvre contribue Ă la brillance du poil et Ă la rĂ©cupĂ©ration musculaire.
Et dans le domaine des animaux de compagnie, les croquettes et complĂ©ments Ă base de chanvre sĂ©duisent les propriĂ©taires soucieux de naturalitĂ© et dâorigine locale.
Les recherches menĂ©es au Canada, en Allemagne et en France montrent que lâincorporation de 5 Ă 15 % de chanvre dans lâalimentation animale amĂ©liore la digestibilitĂ© globale et rĂ©duit les besoins en complĂ©ments chimiques.
đ± Une ressource durable pour une filiĂšre circulaire
Le grand avantage du chanvre rĂ©side dans sa polyvalorisation. Rien nâest perdu : la tige donne la fibre et la chĂšnevotte, la graine lâhuile et le tourteau.
Les Ă©leveurs qui sâassocient aux producteurs locaux participent Ă une Ă©conomie vertueuse, rĂ©duisant le transport, lâempreinte carbone et la dĂ©pendance aux tourteaux de soja importĂ©s.
Dans une perspective dâautonomie agricole, le chanvre apparaĂźt ainsi comme un levier stratĂ©gique : culture peu exigeante, sans pesticides, qui rĂ©gĂ©nĂšre les sols et valorise les coproduits.
En France, plusieurs coopératives expérimentent déjà des circuits courts chanvre-alimentation animale, notamment en Bretagne, dans le Gers et en Bourgogne.
đ Vers une nutrition animale rĂ©gĂ©nĂ©rative
Le dĂ©veloppement du chanvre dans lâalimentation animale sâinscrit aujourdâhui dans un contexte contrastĂ©.
Dâun cĂŽtĂ©, lâĂ©levage intensif reste majoritaire dans la production mondiale : il dĂ©pend souvent de protĂ©ines importĂ©es (soja, maĂŻs, colza) et contribue Ă une forte pression environnementale.
De lâautre, des modĂšles dâĂ©levage plus rĂ©gĂ©nĂ©ratifs et circulaires cherchent Ă reconnecter lâagriculture et lâalimentation animale avec les ressources locales et durables.
Câest lĂ que le chanvre trouve toute sa place.
Des essais rĂ©alisĂ©s par lâUniversitĂ© du Manitoba (2019) et Wageningen University (2021) ont montrĂ© que les tourteaux de chanvre pouvaient remplacer jusquâĂ 20 % du tourteau de soja sans perte de performance ni de croissance chez les volailles et les bovins.
LâINRAE a Ă©galement observĂ© en 2022 que cette substitution rĂ©duisait de 12 % les Ă©missions de mĂ©thane entĂ©rique chez les ruminants, tout en amĂ©liorant la qualitĂ© lipidique du lait et de la viande.
Ces rĂ©sultats, encore en phase dâexpĂ©rimentation, ouvrent une voie nouvelle : celle dâune nutrition animale rĂ©gĂ©nĂ©rative, oĂč les apports vĂ©gĂ©taux renforcent la santĂ© animale autant que la fertilitĂ© des sols.
Le chanvre ne se substitue pas brutalement aux systĂšmes existants ; il les complĂšte, les adoucit, et rĂ©introduit une dimension oubliĂ©e : celle de lâĂ©quilibre.
Dans un monde agricole en quĂȘte de cohĂ©rence, le chanvre rappelle que nourrir les animaux, câest aussi soigner la terre et prĂ©server lâavenir.